Alors que le secteur du tourisme, des loisirs et de l’événementiel a été l’un des plus touchés par la pandémie causée par le Sars-Cov-2, nous nous sommes interrogés sur le tourisme de demain. À quoi ressemblera-t-il ? Comment va-t-il évoluer ? Est-ce qu’il sera très différent du tourisme pré-COVID ? Pour imaginer le futur, nous avons consulté sept experts qui nous ont livré leur regard sur le sujet. Aujourd’hui, c’est Hélène Bouyer, experte de l’hospitality management, conférencière et intervenante à l’École Supérieure de Tourisme qui nous livre ses impressions.
« Le numérique a un potentiel immense sur le plan expérientiel si on sait correctement exploiter la donnée. »
La pandémie a mis à l’arrêt le secteur du tourisme. Comment celui-ci va rebondir ?
Hélène Bouyer : « La première chose à laquelle je crois fermement, c’est qu’il va rebondir, cela ne fait aucun doute. En Europe, c’est un emploi direct et indirect sur six qui est concerné par le tourisme. C’est à la fois un vivier de talents important, mais aussi un vrai potentiel économique. Pour le rebond du tourisme, je pense qu’il faut faire la distinction entre le tourisme local et régional qui devrait rebondir entre 2021 et 2022, et le tourisme international qui ne devrait pas rattraper son niveau d’avant crise avant 2024 selon les études en cours. Pour cela, il faut que les professionnels du tourisme puissent à la fois susciter l’envie de voyager, mais aussi donner confiance et garantir un niveau de sécurité sanitaire optimal. Sur le segment de l’hôtellerie de luxe que je connais bien, la clientèle française seule ne peut pas compenser l’absence de la clientèle internationale. En période estivale, 60% de la clientèle de luxe vient des États-Unis, de Chine, du Japon, du Moyen-Orient, de Russie et du Brésil. Cet hiver, pour faire face à la fermeture de remontées mécaniques, les hôtels de luxe et palaces des stations de ski ont redoublé d’efforts pour proposer de nouvelles offres afin de maintenir leur activité. En attendant de retrouver de hauts niveaux de réservation, il est important de redéfinir ses offres, de les optimiser et d’innover en proposant des expériences nouvelles pour sortir du lot. L’innovation est clé.»
Est-ce que les caractéristiques du tourisme pré-COVID et post-COVID seront les mêmes ?
Hélène Bouyer : « Dans les tendances actuelles, les attentes changent. On parle d’ailleurs moins de touristes que de voyageurs. Ce glissement sémantique implique une nouvelle quête d’authenticité. Quelque chose de local et d’expérientiel. L’objectif n’est plus nécessairement de partir loin, mais de vivre une expérience, le tourisme local et régional répond à cette attente. On peut ainsi vivre des expériences incroyables à une heure de sa ville de résidence ou au sein même, c’est la promesse des “staycations”. Le workation lui, tire parti d’une frontière toujours plus floue entre nos vies personnelles et professionnelles. Avec le télétravail, on peut vivre et travailler ailleurs, et combiner vacances et travail. De nouvelles offres émergent dans un contexte tendu qui pousse à l’innovation.»
Comment le numérique a transformé, ou va transformer, le monde du tourisme ?
Hélène Bouyer : « De nombreuses innovations domotiques sont nées dans les hôtels de luxe. Les hôtels haut de gamme sont des incubateurs numériques qui proposent des innovations qui ensuite se démocratisent. C’est notamment le cas de l’IoT avec un réglage fin de la température et du taux d’humidité de sa chambre, de la fermeture des rideaux ou des volets, de la reconnaissance faciale dans un monde sans clé et sans contact, etc. Le numérique joue un rôle important dans la personnalisation de la relation. Il facilite des tâches à faible valeur ajoutée comme le check-in / check-out pour éviter les files d’attente. L’intelligence artificielle anticipe les besoins des clients et personnalise l’expérience, en connaissant les attentes des clients. Le numérique a un potentiel immense sur le plan expérientiel si on sait correctement exploiter la donnée. C’est là que se situe la vraie révolution. »
Quel regard portez-vous sur le développement durable dans le tourisme ?
Hélène Bouyer : « Sur le segment du luxe, il faut aller au-delà du durable et je trouve que le mot anglais de sustainable est plus inclusif, car il comprend aussi les notions d’environnements économique, social et sociétal. Cela signifie que l’écologie et la préservation de la nature sont indispensables, mais il faut aller plus loin. Je pense notamment au fait de favoriser l’emploi local à des fonctions de management, de développer l’héritage culturel afin qu’un hôtel de chaîne à Singapour ne ressemble pas à celui de Nairobi, de participer au développement économique en participant à la construction de routes, d’écoles et d’associations pour faire le lien avec les communautés locales et ne pas vivre en déconnexion dans une bulle réservée aux touristes. Si la route est encore longue, le mouvement est lancé et va de pair avec des changements environnementaux à accompagner comme la réduction de la pollution, le traitement des déchets, les transports électriques, la consommation des fruits et légumes de saison en circuit court, etc. Beaucoup d’efforts sont faits par les hôteliers pour créer des offres vraiment innovantes dans ce domaine. Je pense notamment aux marques 1 Hotels ou Six Senses qui sont très investies dans une forme de luxe durable. Dans tous les cas et sur tous les segments, le durable est incontournable. »
Quels sont les territoires qui profiteront le plus du tourisme dans le futur ?
Hélène Bouyer : « Dans les trois prochaines années, ce seront ceux qui seront capables de rassurer les voyageurs. C’est-à-dire des territoires ayant bien géré la crise sanitaire, avec un bon taux de vaccination et des structures de santé solides. Dans le monde du luxe, les clients cherchent plus une expérience qu’une destination. Les professionnels de l’hôtellerie développent des expériences uniques et attractives. C’est, par exemple, le cas de One&Only Gorilla’s Nest au Rwanda ou de l’Anantara Al Jabal Al Akhdar, hôtel au sommet d’un canyon en Oman, ou encore de l’offre de Sovena, une véritable invitation au rêve. »
Quelles sont les qualités du manager du tourisme de demain ?
Hélène Bouyer : « Le manager de demain doit bien sûr avoir des hard skills, grâce à sa formation en Hospitality Management, développées par son expérience sur le terrain. Ces compétences tangibles constituent le socle de base. Ensuite, il faut miser sur ses soft skills, et en particulier l’adaptabilité, l’innovation, la créativité, l’ouverture d’esprit, la capacité à savoir gérer une crise, à faire preuve de résilience, et à être en quête d’opportunités en continu. Les acteurs du tourisme veulent aussi des managers “touche-à-tout”, et opérationnels. Lors de la dernière décennie, on incitait les étudiants à se spécialiser, la crise actuelle montre que l’on recherche aussi des managers terrains, “hands-on”, capables de polyvalence. En évoluant, il ne faut pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire, mais être présent sur le terrain, impliqué auprès des équipes et des clients. »
Quel futur pour le tourisme d’affaires ?
Hélène Bouyer : « Sur le segment Corporate, le FIT (pour “Frequent Individual Traveler“) est impacté par le fait que les outils numériques compensent, en partie, la présence physique. Cette crise nous a montré qu’on pouvait continuer à travailler à distance. Les déplacements professionnels restent nécessaires, mais peuvent être revus à la baisse. Le segment du MICE (pour “Meetings, Incentives, Conventions and Events“) va rebondir, mais différemment. On a vu des grands salons se tenir en mode virtuel au cours des deux dernières années (la Travel Week de Virtuoso à Las Vegas, par exemple, véritable institution sur le segment du tourisme de luxe). Avec la crise sanitaire et économique, je ne suis pas sûre qu’une entreprise investisse des dizaines de milliers d’euros pour faire venir ses équipes en avion, les loger, etc. On va voir émerger une forme de phygital avec des salons physiques et virtuels qui permettront à toutes les entreprises de s’adapter selon leurs projets. Pour les incentives en revanche, on ne motive pas ses équipes en restant derrière un ordinateur. Pour autant, il n’y a pas non plus besoin d’aller aux Bahamas. Le tourisme local jouera aussi un rôle dans le tourisme d’affaires. C’est ainsi que les Relais & Châteaux ou les belles propriétés d’exception à moins de deux heures de route des grands centres urbains ont de vraies opportunités. »