Alors que le secteur du tourisme, des loisirs et de l’événementiel a été l’un des plus touchés par la pandémie causée par le Sars-Cov-2, nous nous sommes interrogés sur le tourisme de demain. À quoi ressemblera-t-il ? Comment va-t-il évoluer ? Est-ce qu’il sera très différent du tourisme pré-COVID ? Pour imaginer le futur, nous avons consulté sept experts qui nous ont livré leur regard sur le sujet. Aujourd’hui, c’est Christelle Taillardat, Directeur, Aube en Champagne Tourisme et Congrès qui nous livre ses impressions.
« Le futur passera par la co-construction d’un tourisme durable entre acteurs publics et privés. »
La pandémie a mis à l’arrêt le secteur du tourisme. Comment celui-ci va rebondir ?
Christelle Taillardat : « Je pense que le tourisme va rebondir, comme il a toujours rebondi après toutes les crises, et la clé du succès résidera dans la différenciation des offres. Dans l’Aube, nous développons le slow tourisme depuis 2017. Un tourisme rural et durable avec une forte composante en matière d’innovation. Depuis plusieurs années, nous avons développé un incubateur et réfléchi aux changements dans le tourisme avec le développement des circuits courts notamment. Or, avec la pandémie, tout s’est accéléré et j’ai constaté une forte appétence au changement et à l’innovation de la part des professionnels du tourisme. Je suis d’ailleurs persuadée que le futur passera par la co-construction d’un tourisme durable entre acteurs publics et privés. La prochaine révolution touristique sera à la fois verte et numérique pour un tourisme post-COVID plus durable. »
À quoi ressemblera le tourisme du futur, dans 5, 10 ou 15 ans ?
Christelle Taillardat : « Je pense que la tendance à suivre de près est celle du nomadisme. Le voyage fait partie de l’aventure avec un besoin important de se sociabiliser. Cela veut dire davantage d’occasions de rencontres, des expériences humaines, des partages, des repas et des nuitées chez l’habitant, etc. Le tourisme du futur est un tourisme où l’on profite, on prend le temps, on va vivre ailleurs, travailler ailleurs, se soigner ailleurs, etc. Il ne s’agit pas uniquement que de faire des visites, mais bien d’intégrer des opportunités de déplacements dans le cadre d’une expérience globale. Le bleisure, contraction de business et leisure, va aussi se développer. Les frontières entre la vie personnelle et professionnelle sont poreuses, surtout avec le télétravail. Ça peut créer des problèmes, mais ça ouvre aussi des opportunités pour voyager et découvrir des territoires nouveaux. On parle d’ailleurs de “télé-travel”, c’est-à-dire télétravailler en voyageant et vice-versa.»
Comment gérer et appréhender le tourisme de masse dans le futur ?
Christelle Taillardat : « Je suis persuadée que le tourisme de masse va repartir. Le seul levier qui le freinerait serait une augmentation des prix en raison de nouvelles régulations. Et je pense d’ailleurs que c’est souhaitable. Ces dix dernières années, le surtourisme a fait des dégâts dans tous les écosystèmes et les environnements. Sa régulation est indispensable et il faut le contraindre, car si on parle des recettes de ce tourisme, on ne parle jamais de ses impacts. C’est un tourisme dont l’empreinte environnementale (nettoyage, sécurité, dégradation des environnements…) coûte très cher, et il n’y a pas toujours d’équilibre par rapport aux coûts induits, qui sont souvent pris en charge par les pouvoirs publics. Pour que le tourisme de masse évolue, il doit être accepté par les habitants. Les visiteurs ne doivent plus être des touristes, mais des habitants temporaires d’un lieu qu’ils doivent respecter. Mais il y a encore du chemin à parcourir pour en arriver là… »
Vous parliez du slow tourisme. Est-ce que c’est un levier de développement pour les territoires moins bien servis par les grands flux touristiques ?
Christelle Taillardat : « Dans l’Aube en 2030, le tourisme devra être un prétexte pour rénover nos campagnes. Cela veut dire refaire vivre les petites villes grâce au tourisme et au télétravail. Les travailleurs peuvent travailler à la campagne – à condition qu’elle soit bien connectée – et passer quelques jours par mois au bureau dans les grandes métropoles. Pour y parvenir, le tourisme doit servir à l’attractivité d’un territoire. On le découvre en tant que visiteur avant d’y revenir plus tard pour un congrès, un événement, ou pour s’y installer temporairement ou durablement. Le slow tourisme a un rôle à jouer dans la protection de nos paysages, pour recréer un esprit des lieux, préserver son authenticité, et se réapproprier notre territoire. Le slow tourisme n’est pas un tourisme lent. C’est un tourisme doux. C’est un tourisme où on reprend le temps de la nature, du contact humain, de la préservation de son corps et de sa santé. C’est le tourisme des racines, du calme, du silence, des grands espaces et une forme de luxe de l’esprit. Aujourd’hui, les vacances sont stressantes. Il y a du monde et du bruit partout, sur la route, dans les gares, il faut aller vite, prendre la bonne photo pour la poster sur Instagram, etc. Le slow tourisme est justement à l’opposé de cette réalité. »
Quels sont les territoires qui profiteront le plus du tourisme dans le futur ?
Christelle Taillardat : « Le soleil est une valeur sûre, mais les campagnes qui gèrent bien leur patrimoine et leur disponibilité peuvent tirer leur épingle du jeu. Certains territoires comme le Perche ou les Vosges deviennent “chics”, mais je pense qu’il n’y a pas de régions qui ne sont pas attractives. Par contre, le vrai sujet, c’est l’intermodalité des moyens de transport. Il faut pouvoir tout réserver en quelques clics depuis son smartphone. Par exemple, vous venez en train et votre voiture électrique rechargée vous attend à la gare. Une fois dans votre hébergement, un vélo est à votre disposition avec des itinéraires clés en main. Pour y parvenir, la connectivité est indispensable. Sans interface numérique qui permet de réserver tout son itinéraire, l’information est invisible. Le numérique doit être utilisable partout sans être intrusif. Même pour des vacances à la ferme, il faut pouvoir lire ses e-mails, faire une visioconférence quand on le souhaite, etc. Et dans les lieux d’expériences touristiques, le réseau mobile est indispensable pour s’y rendre comme pour assister intelligemment les transactions (pour permettre le paiement en devises étrangères par exemple). C’est ce que j’appelle le numérique passif. Il vient servir l’expérience et les interactions qui restent avant tout humaines. »